Dans ce monde contemporain où l’on cherche à réécrire l’histoire, à se la réapproprier pour en extraire des versions nouvelles qui arrangent nos consciences et nos états d’âme plutôt que d’accepter la réalité avec ses zones d’ombre et ses erreurs, l’exercice de mémoire semble fondamental pour envisager un avenir apaisé.
Avec Temporary Stored II paru sur son propre label OFNOT, KMRU s’entoure d’artistes tels qu’Aho Ssan, Lamin Fofana, Nyokabi Kariũki et Jessica Ekomane pour transformer des fragments sonores dormants, tirés des archives de l’ Africa Museum à Tervuren (Belgique) en une exploration du passé visant à s’approprier un avenir dont le potentiel dépendra de notre capacité à exploiter notre histoire comme une ressource, plutôt que comme un fardeau trop lourd à porter pour une nouvelle génération qui en porte les stigmates sans l’avoir connue.



Chaque piste de l’album se compose de soigneux assemblages sonores mêlant ambiances de terrain, enregistrements de chants, traditions et pratiques africaines. Joseph Kamaru, comme chaque artiste présent sur cet ouvrage, s’appuie sur ces éléments d’archives, comme sur autant de pièces d’un puzzle constituant ce qui pourrait être une identité individuelle et collective africaine. Le résultat de ces collages prend alors une dimension culturelle et politique, nous invitant à écouter entre les sons.
Si nous oublions d’où nous venons, où allons-nous ? Temporary Stored II semble chercher à répondre à cette question en faisant de ses archives sonores numérisées un langage réimaginé, cherchant à redonner vie à des traditions rythmiques et vocales confinées dans les murs d’un musée européen. Ce nouveau matériau sonore devient alors le creuset d’un possible futur, une invitation à repenser les formes de transmission et d’écoute perdues.

« L’écoute est un acte politique. »
Un aspect particulièrement saisissant de cet album est son engagement envers l’idée que l’écoute est un acte politique. « Des formes d’ondes noires comme des enthousiasmes rebelles » qui, selon les mots de Katherine McKittrick, « affirment, à travers des schémas cognitifs, des modes d’être humain qui refusent l’antiblackness tout en restructurant notre système de connaissances existant. » En ce sens, Temporary Stored II ne se contente pas de nous plonger dans l’histoire ; il nous confronte à notre méconnaissance d’une culture et de son passé, nous invitant à interroger nos propres présupposés.
Écouter cet album, c’est être témoin de ce qui a été perdu, capturé et refusé. Une réflexion sur la mémoire et l’identité.
Mickaël Petit © Rivages Sonores
