Une pièce musicale dont j’aurais aimé étendre la durée.
On dit que tout ce qui est bon a une fin. Je déteste cet adage, que je perçois comme une excuse à une sorte de médiocrité normée, dans laquelle il faudrait s’accommoder d’un ennui lancinant ponctué de quelques épiphénomènes radieux. Pourquoi diable faudrait-il que ce qui nous fait du bien se termine ? Ce qui nous fait du bien ne devrait jamais se terminer. Nous devrions le couver comme la flamme d’une bougie et le chérir comme un amour véritable.
Pendant 35 minutes, les musiciens, dispersés sur deux niveaux et sur la périphérie de la salle modulable de la Comédie de Genève, tissèrent un enchevêtrement de notes étirées à la fois dans le temps et dans l’espace.
Les yeux fermés, au milieu de la salle, je me défaisais de mes repères. Peu à peu, mon écoute se déplaçait de la mélodie vers la résonance, le timbre et les aspérités du son, opposant la rugosité des guitares saturées au souffle des bois, des cuivres et de l’orgue. Je ressentais alors une forme de sérénité empreinte de nostalgie. Je percevais le temps s’écouler tout en étant incapable de savoir à quelle allure. Je savais que j’aurais pu rester là longtemps encore, à habiter le son.

La représentation se termina, et le silence s’invita comme s’il en était le dernier mouvement. La musique résonnait encore en moi alors que les instruments avaient cessé de jouer. J’espérais que le public autour de moi applaudirait le plus tard possible. Que perdure cet état d’apesanteur.
Je n’aime pas les applaudissements à la fin des concerts. Je trouve ça brutal. La musique ne devrait jamais être interrompue par ce fracas collectif. Elle devrait pouvoir résonner dans le silence et nos mémoires, pour devenir une version sublimée de ce qui a été entendu et ressenti.
Ainsi, la musique jouée nous appartient et nous appartiendra toujours. Et plus tard, nous pourrons nous souvenir de ce que nous avions quand nous l’avions avec nous.
Stephen O’Malley ~ But Remember What You Have Had…
(Commande d’Ensemble Contrechamps)
Festival Antigel – Comédie de Genève – 13 Février 2025
Mickael Petit © Rivages Sonores
