Twin Color Vol. 1 : Le retour magistral des dystopies électroniques de Murcof

Peu de temps après la sortie de The Etna Sessions sur Facade Electronics, chroniqué sur Rivages Sonores (lien), Murcof poursuit avec Twin Color – Vol.1, qui paraîtra le 15 novembre 2024, cette fois-ci sur InFiné.
Avec ce nouvel album, Murcof s’éloigne de ses récentes productions aux côtés de Vanessa Wagner – incarnant à merveille l’esprit InFiné – pour se rapprocher des fondations de son univers sonore.

L’alchimie sonore de Murcof – Sur une ligne de crête entre nostalgie et innovation

Près de vingt ans après Cosmos – réédité par Leaf Label en 2022 aux côtés des envoûtants Martes, Utopía, et RemembranzaTwin Color – Vol.1 marque le retour de Murcof aux synthétiseurs analogiques et aux textures en clair-obscur, avec lesquels il bâtit des univers cinématographiques dystopiques.

Dès les premières secondes d’écoute, un délicieux sentiment d’euphorie surgit, semblable à celui des retrouvailles avec un ami de longue date. En un instant, la complicité se réactive, comme si les années d’absence n’avaient jamais existé. Tout retrouve naturellement sa place, les automatismes refont surface, comme si rien ou presque n’avait changé. Différents et semblables à la fois.

Dans le cas de Twin Color – Vol.1, cet « ami retrouvé » prend la forme d’un setup d’instruments analogiques : synthétiseurs Dave Smith, Yamaha, Kodamo, et un enregistreur à bande Tascam Portastudio. Les imperfections inhérentes à un enregistreur à bande — ses « wow & flutter » — insufflent au son une poésie brute, une richesse cachée dans chaque détail, et une profondeur qui nous transporte vers une autre époque. De la même manière que pour la photographie argentique ou le « Super 8 » en vidéo, les textures et imperfections deviennent ici un atout : elles transcendent le son, l’enrichissent, et réveillent une certaine nostalgie, celle d’un temps où l’on inventait des mondes parallèles faits de brumes et de néons à la Blade Runner.

Murcof joue avec les contrastes de qualité, confrontant ces sonorités authentiques et patinées aux outils de création moderne mis à disposition par l’IRCAM, véritable incubateur technologique. Il en résulte une œuvre exigeante qui réussit le tour de force de trouver un équilibre parfait entre expérimentation et musicalité.

Car Twin Color – Vol.1 est également la première collaboration entre InFiné et le prestigieux institut, laissant présager un avenir exaltant pour les prochaines productions du label. En ouvrant l’accès de ses artistes aux innovations d’avant-garde de l’IRCAM, habitué à accueillir la fine fleur de la scène expérimentale avec des figures telles qu’Aho Ssan, KMRU ou Abul Mogard, InFiné amorce une prometteuse métamorphose qu’il faudra suivre de près.

Ainsi, Twin Color – Vol.1 nous entraîne dans un équilibre savant où se mêlent expérimentations sonores brutes – à l’image de They Glow – et une électronique minimaliste aux accents downtempo, comme le révèle All These Worlds Part. II. À travers ces titres, on perçoit des influences aussi riches que diverses, s’étendant de la synth-pop au post-punk, tout en nuances. Les textures rauques se fondent dans les envolées lumineuses et mélodiques des synthétiseurs – notamment sur Enemy – apportant une intensité presque palpable.

La voix douce et diaphane de la fille de Murcof, ajoute une touche d’innocence, suspendant le temps sur des titres comme Going Home, où l’auditeur flotte entre ombre et lumière. Puis, l’album s’assombrit peu à peu, laissant planer l’ombre d’une menace mystérieuse, comme un présage qui s’immisce doucement.

Cet album révèle un véritable fil narratif, où chaque morceau semble conçu pour guider notre imaginaire dans des tableaux visuels tout droit sortis de films de science-fiction des années 80-90. Serait-il ici question d’une invasion extraterrestre ? C’est en tout cas ce que la tracklist laisse imaginer, tout en suggérant qu’un Twin Color – Vol.2 serait en gestation : Going Home, Cosmic Drifter, All The Worlds, Enemy, Fight… To be continued ?

Je l’espère tant cet album réveille des émotions contrastées : réjouissant et inquiétant, fascinant, élaboré et complexe tout en restant accessible.

Murcof et Simon Geilfus en studio à l’Ircam © Ircam-Centre Pompidou

Une expérience sensorielle – Quand la musique de Murcof se mêle aux tableaux mouvants de Simon Geilfus

Avec Twin Color – Vol.1, Murcof ne se contente pas de sortir un album ; il propose une véritable expérience audiovisuelle, créée en partenariat avec l’artiste vidéo Simon Geilfus et présentée pour la première fois en août 2024 au Mutek de Montréal.

Conçue dans les studios de l’IRCAM, cette performance redéfinit notre relation à la musique en transformant chaque morceau en un tableau vivant. Ces paysages numériques, réalisés par le biais de technologies de pointe empruntées aux jeux vidéo, sont capables d’évoluer et d’interagir en temps réel avec les sons issus des compositions de Murcof. Ensemble, les deux artistes nous transportent dans un univers paranormal.

Dans la vidéo accompagnant le titre Fight, un panorama est dépeint, dont la tranquillité apparente est progressivement perturbée par des orages inquiétants. Une lumière rouge, menaçante et diffuse, perce à travers une forêt dense. À mesure que l’on explore ce paysage, la présence d’une forme de vie organique nouvelle et inconnue se révèle. Notre monde y apparaît comme contaminé par une présence extraterrestre invasive. Les fans de la série Stranger Things adhéreront sans aucun doute au résultat esthétique rétro-futuriste.

La complémentarité entre son et image ouvre une nouvelle dimension dans l’œuvre de Murcof, nous incitant à repenser l’expérience d’écoute comme une expérience sensorielle totale à vivre corps et âme.

Une expérience surréaliste – La science-fiction pour apprivoiser le réel

Dans le contexte actuel, où les futurs possibles qui se dessinent devant nous relèvent de la science-fiction, il apparaît humain d’exorciser nos craintes en nous projetant dans des univers parallèles. Pour apprivoiser nos angoisses, nous anticipons les scénarios les plus sombres tout en conservant l’espoir d’une lueur

Dans la nuit, ce que nous cherchons n’est autre que « La Promesse de l’Aube ».

Mickael Petit © Rivages Sonores

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