Secret Of Elements • Chronos

Après deux EP : ‘Momentum’ (2017) et ‘Odesea’ (2018), Johann Pätzold aka Secret of Elements poursuit son aventure sur InFiné avec ‘Chronos’, album introspectif dans lequel il revient sur les moments clés de sa vie. 
Une fois de plus le label Lyonnais fondé en 2006 par Agoria fait tomber les barrières entre la musique classique et électronique. Il nous semble important de le rappeler, InFiné n’est pas uniquement le label de Rone, c’est aussi un défricheur de talents et un laboratoire musical. Faut-il rappeler la génèse du premier opus du projet Aufgang en  2009, collaboration entre Francesco Tristano, Rami Khalifé et Aymeric Westrich apparu à son époque sur la scène musicale comme un OVNI ?

Profitant d’une année 2020 propice à faire le point, Pätzold remonte le fil de sa vie, exhumant un à un les jalons de son existence.
Comme un film tourné en super 8 et projeté sur un mur de la maison familiale, ‘Chronos’ est une rétrospective intime où l’artiste se livre sans artifice. Ses heures sombres, ses instants de colère ou de bonheur se retrouvent juxtaposés dans un patchwork émotionnel hétérogène à l’instar d’un vieil album débordant de souvenirs ternis par le temps.

Photo ©Nicolas Blanchadell

Chaque titre de ‘Chronos’ est comme une boîte dans laquelle Johann Pätzol dépose un fragment de sa vie : lorsqu’il est tombé amoureux, s’est perdu, a dû affronter ses troubles psychiatriques, lorsqu’il est devenu père, qu’il s’est insurgé face à l’injustice, naviguant en Méditerranée au secours de réfugiés. Chaque souvenir comme chaque émotion se retrouvent scellés dans une chanson. L’artiste peut alors se libérer de son passé et se tourner vers demain.
‘Chronos’ est vraisemblablement un album charnière dans la carrière du compositeur déterminé à se façonner une identité sonore qui lui est propre même si les influences semblent encore transparaitre dans certains recoins.

Durant une année entière, Pätzold a travaillé sans relâche à l’élaboration de ce disque en adaptant son processus créatif et d’enregistrement à un contexte inédit et rythmé par de longues périodes de confinement successifs. L’album entier sera composé en amont de la première à la dernière note et enregistré principalement en home studio à l’exception des parties orchestrales pour lesquelles l’artiste aura sélectionné au préalable des musiciens de sa ville de Rostock pour figer durant une seule journée les orchestrations qui figureront sur l’album.

‘Chronos’ oscille entre néo-classique et musique électronique dans des sonorités proches de celles des productions du label Erased Tapes. Quoiqu’il en soit cela n’enlève rien aux prouesses de Secret Of Elements à peindre de véritables tableaux sonores en ayant recourt à une palette étendue de textures analogiques et organiques, alternant moments de grandeurs et de communion.
Régulièrement invité comme orateur lors de conférences médicales pour présenter la thérapie musicale comme une forme alternative de traitement de la schizophrénie et de la dépression, Pätzold nous démontre avec son dernier album, que notre sensibilité et notre vulnérabilité, parfois destructrices, peuvent être canalisées pour être misent au service du sublime.
’Chronos’ est un album soigné et touchant par l’indéniable sincérité de son auteur.

L’album s’ouvre sur l’émouvant ‘Grace’ dans la lignée des compositions de ‘A Winged Victory For The Sullen’. Ce premier titre exorcise le souvenir douloureux de la tentative de suicide d’un ami proche de l’artiste. Alors que s’étire à l’infini un bourdonnement métallique mêlé à des voix si éthérées qu’elles en deviennent indicibles, le piano déroule une poignante litanie accentuée par l’apport des cordes jouées en staccato. 

Nous poursuivons avec ’A Last Waltz’ moment de plénitude et de délicatesse offert par le pianiste Mischa Blanos (un autre artiste InFiné) prêtant main forte à Pätzold pour l’occasion. À travers cette valse à la Yann Tiersen, Secret Of Elements se remémore son mariage, la naissance de ses enfants et nous emporte avec lui dans un tourbillon de nostalgie. Alors nous reviennent les mots de Hans Christian Anderson « Là où les mots échouent, la musique parle »

Puis ‘Memento’, retrace le parcours d’unemère Syrienne que le « music activist » a accompagné dans sa fuite entre la Grèce et l’Allemagne. S’il nous rappelle les débuts d’Òlafur Arnalds, ce titre n’en demeure pas moins un des plus réussi en terme de spacialisation. L’écoute est particulièrement immersive et regorge de détails permettant à l’auditoire de se placer en témoin de ce reportage sensoriel.

Plus loin, l’aura de Sascha Ring aka Apparat semble planer sur le titre ‘Nothing Lost Yet’. Les cordes romantiques, la ligne de basse lancinante découpée par les rythmiques syncopées et granulaires, tout cela nous ramène à l’époque de Duplex paru en 2003 sur le label Shitkatapult.

Mais ne nous méprenons pas, ’Chronos’ n’est pas qu’affaire d’influences. Avec ’Viniculum’, Secret Of Elements construit une des pièces majeures de son album, mais aussi une des plus personnelle et cinématographique. Construit autour d’un mantra indien, ce morceau se révèle être un requiem pour les centaines d’enfants de migrants disparus aux larges des côtes de la Méditerranée. Progressivement l’orchestration nous laisse désarmés et désemparés face à cette tragédie.

Nul doute qu’après s’être impliqué corps et âme à porter secours aux réfugiés, se remémorer ces images provoque en Johann Pätzold une colère aveugle. ‘Rage’ laisse exploser sa fureur dans un déluge de cordes frénétiques et âcres.

L’album se termine avec ‘Mein Schmerz’ (ma douleur) qui remonte le temps pour atteindre le point de bascule de la vie de Pätzold : ce moment où la dépression et la schizophrénie l’ont détourné de ses études de physique et de la voie qu’il s ‘était tracé.
Ce morceau s’avère plus lumineux qu’il aurait pu paraitre, d’une situation d’échec personnel, est née une formidable opportunité de se révéler à soi-même. On assiste en réalité à l’éclosion d’un nouvel être s’extirpant de sa chrysalide. 
La musique aura de toute évidence apprit à Pätzold à vivre avec sa maladie mais également à apprivoiser ses émotions.

Chronos’ n’est pas qu’un témoignage musical des dix dernières années de Johan Pätzold, c’est un exutoire pour ne pas sombrer dans la folie, ne pas se laisser déborder par des émotions si vives qu’elles nous consumeraient. Du charbon, la musique extrait le diamant.

Mickael Petit – Rivages Sonores

Ecouter/Acheter l’album : Secret Of Elements • Chronos

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